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Présentation de l'experte :
J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui à mon micro Molika Thaï. Après son master en Ergonomie, elle a rejoint Testapic où elle est UX Researcher, depuis 1 an et demi. Dans son quotidien Molika mène des tests utilisateurs pour le compte de clients venant de domaines très divers, de l’assurance au retail, en passant par des services publics.
"J’effectue un travail exclusivement centré autour de la recherche utilisateur via des méthodologiques mixtes, qualitatives et quantitatives pour formuler des recommandations à nos clients et les aider à fournir des expériences utilisateurs plus pertinentes et fluides. Pour autant, avant cela, je n’étais pas du tout dans l’UX puisque j’étais développeuse front-end."
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de l’UXR ?
Un alignement des planètes! En tant développeuse front-end, j’ai débuté au sein d’une entreprise spécialisée dans l’accessibilité numérique nommée Tanaguru. C’est là que j’ai vraiment compris ce qu’était l’accessibilité numérique et surtout, à quel point notre monde digital qui est censé faciliter nos vies, ne facilite finalement la vie que d’une partie de la population.
Que faisais-tu chez Tanaguru ?
Pendant cette expérience, j’ai participé au développement de sites accessibles mais j’ai aussi fait quelques audits d’accessibilité - à l’époque avec le RGAA 3 - c’est-à-dire la version 3 du référentiel français en matière d’accessibilité, j’ai participé à des actions de sensibilisation et de formation auprès du public ou de clients et j’ai eu une mission particulière qui m’a totalement décidé à faire de l’UXR.
Pourrais-tu donner ta propre définition de l'accessibilité numérique ?
L’accessibilité et la conception inclusive sont des concepts parfois confondus car ces deux concepts visent à réduire les barrières entre les humains et la technologie en créant des expériences inclusives.
D’un côté nous avons l'accessibilité qui garanti que les interfaces sont utilisables par des personnes en situation de handicap (handicaps auditifs, cognitifs, physiques et visuels). L'accessibilité a une portée plus définie que la conception inclusive en ce sens qu'elle se concentre sur des aménagements spécifiques encadrés par la loi. L'accessibilité numérique en France se matérialise notamment par l’ensemble des règles éditées par la DINUM pour permettre aux personnes en situation de handicap de bénéficier des mêmes espaces digitaux, au même titre que toi et moi n’avons pas cette problématique au quotidien.
Alors que la conception inclusive est une notion plus large qui consiste à veiller à ce que tous les utilisateurs puisse bénéficier d’un espace digital peu importe leur profil ou leurs capacités, en évitant toutes discriminations. Elle prend en compte une variété de sujets : l'âge, la culture, la situation économique, l'éducation, le sexe, la situation géographique, la langue ou l’origine ethnique, incluant l’accessibilité. Pour résumer c’est fournir un contenu de façon équitable à tous les utilisateurs, y compris les personnes en situation de handicap.
*L’accessibilité est encadrée par l’État car la non-conformité numérique constitue une inégalité. Dans la loi de 2005 sur le handicap et l’égalité des chances, définit le handicap comme toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société ça fait effectivement écho à notre environnement numérique. subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. Il est difficile d’avoir des chiffres très précis sur la non accessibilité numérique notamment car le handicap tout comme l’exposition numérique est différente selon chaque personne. Cependant, rien qu’en prenant les chiffres de la population touchée par la déficience visuelle on peut imaginer le nombre de personnes impactées : Selon l’INSEE, en France 1,7 millions de personnes ont des déficiences visuelles, 207 000 aveugles et malvoyants profonds, 932 000 malvoyants moyens (en vision altérée de près voir on peut parler de lecture impossible).
As-tu une expérience marquante sur le sujet à nous partager ?
J’ai été envoyé au sein d’une entreprise aider une personne ayant une déficience visuelle dégénérative assez rare et qui avait besoin d’avoir des adaptations au niveau de son logiciel de travail. Cette expérience a été extrêmement enrichissante et en voyant l’importance de l’évaluation de son besoin et de la compréhension de son vécu quotidien, j’ai eu envie de faire de l’UXR parce que pour moi, l’UXR (en tout cas la vision que j’en avais à ce moment là), regroupait tous cet aspect d’évaluation du besoin, avec des techniques qualitatives et quantitatives pour comprendre le quotidien réel, sur le terrain, de tous les utilisateurs, y compris ceux avec un handicap. C’était pour moi le chemin qui avait le plus de sens afin d’améliorer notre monde numérique en connexion avec la réalité des gens.
Est-il nécessaire de rencontrer les personnes en situation de handicap pour bien tester ?
Il est plus adapté d’interagir avec les personnes en situation de handicap dans leur environnement quotidien. Elles sont maitres de leur matériel utile à la navigation web. C’est effectivement une bonne pratique à conserver pour bien tester l’accessibilité!
Est-ce que les tests d’accessibilité est une demande récurrente de la part de tes clients ?
Non, en France nos clients ne sont pas encore demandeurs de ces prestations pourtant quand on aborde le sujet avec eux le sujet résonne. Selon moi, les sanctions en matière d’accessibilité numérique reste assez négligeables pour les entreprises contrairement aux sanctions de RGPD par exemple. J’imagine que les demandes vont s’accentuer quand on voit les différents procès actuels aux US sur le sujet.
Et en interne au sein de ton équipe, vous abordez le sujet ?
Oui de temps en temps, personnellement, je profite simplement de moments dédiés pour parler de l’accessibilité comme des présentations internes, d’en parler à mes collègues, à ma manager, ne pas cacher l’appétence qu’on peut avoir sur le sujet. Je ne veux pas parler de militantisme mais ne pas hésiter à compléter nos interlocuteurs dans certaines conversations pour essayer d’amener un peu plus d’empathie et de sensibiliser sur la question.
Côté clients, tu as des recommandations à formuler, comment gères-tu ta sensibilité sur le sujet avec eux ?
J’ajuste mon degré d’implication en termes d’accessibilité en fonction du type d’acteurs que j’ai devant moi. Dans l’absolu, tous les services devraient être accessibles, mais je suis d’autant plus attentive à la question si je travaille avec un service public qui touche vraiment tout le monde, sans exception. J’avoue que dans ma position, en tant que prestataire, ce n’est pas ma mission de sensibiliser sur les sujets d’accessibilité. Pour autant, il est vrai que lorsque je fais mes recommandations, j’ai toujours les règles d’accessibilité de base en tête et je formule des recommandations liées à l’accessibilité lorsque c’est pertinent vis-à-vis des résultats que je présente. Je peux également - même si ce n’est arrivé qu’une fois - collaborer avec d’autres équipes en contact avec nos clients pour identifier des problèmes d’accessibilité.
Une autre considération en terme d’accessibilité que l’on peut avoir en temps que collaborateur ou prestataire, c’est l’accessibilité de nos supports de communication. Je ne sais pas qui sont les personnes qui vont relire mes protocoles, guide d’entretien ou mes présentations de résultats. Dans la mesure du possible, j’essaie de faire attention au contraste des textes ou au fait de mettre des légendes systématiques à mes graphiques ou mes images par exemple.
As-tu en tête les recommandations que tu fais le plus souvent ?
Les choses qui reviennent régulièrement, sont des choses simples qui peuvent être relevées dans ce que l’on fait au quotidien : les contrastes des textes, des liens et des boutons, la hiérarchie des titres, les intitulés de liens qui ne sont pas explicites et hors contexte, les tailles de polices inadéquates. Si je m’aventure à formuler une recommandation qui, je le sais, est en lien avec l’accessibilité, je fournis également des liens vers des articles ou des outils qui permettent de mettre en œuvre les recommandations.
Aurais-tu des exemples concrets à nous citer ?
Oui par exemple une liste de plugins Figma permettant d’intégrer l’accessibilité dans le workflow des designer comme Color Blind, Stark ou Able, des outils pour vérifier le contraste des couleurs comme le logiciel Colour Contrast Analyzer. Mais, malheureusement, en tant que prestataire on ne sait pas tout le temps comment sont utilisés nos recommandations ensuite.
Si on parle d’UX Writing. Quelle est la part de l’accessibilité dans le métier d'UX writer ?
Effectivement l’UX Writing et l’accessibilité c’est important. Ici on parle d’un pan spécifique de l’UX mais en réalité, il est possible de penser l’accessibilité dans toutes les spécialités de l’expérience utilisateur. Si on revient sur l’UX Writing, il est donc tout à fait possible (et je dirais même nécessaire) de penser accessible. Dans l’UX Writing on cherche à faire passer les bons messages, aux bons moments à nos utilisateurs, tout ça dans un contexte d’utilisation et d’interfaces. Or, il est tout à fait possible que des personnes aient des besoins en termes d’accessibilité dans notre audience !
Quand on regarde les guidelines d’accessibilité, il y a des règles “simples” à appliquer qui peuvent servir les buts de l’UX Writing et de l’accessibilité. Ce sont des règles dont on pourrait tous bénéficier en réalité comme les exemples cités précédemment sur les titres et les contrastes. On peut citer d’autres éléments liés à l’UX Writing comme :
- Penser à la structure des pages de façon à avoir les points principaux de nos propos en haut de pages pour qu’ils soient plus facilement trouvés
- Mettre des alternatives textuelles aux images qui sont nécessaires pour la compréhension du contenu
- Éviter les libellés qui font référence à une direction. Par exemple : cliquez “à gauche”, “à droite” qui ne sont pas adaptés si par exemple je suis sur mobile ou bien si une personne aveugle navigue sur le site etc..
- Utiliser les langues faciles à lire et à comprendre (easy-to-read en anglais) qui regroupent un ensemble de règles applicables à différentes langues pour simplifier les textes, c’est très utile pour être compris des personnes en situation de handicap intellectuel et les personnes qui ont des difficultés en lecture mais en termes de design inclusif, ça sert aussi pour les personnes qui ne parlent pas bien la langue en question par exemple.
- Pouvoir mettre en pause des animations ou des carrousels pour pouvoir lire le texte qui est inscrit sur un panneau du carrousel.
Aurais-tu un exemple d’une marque que tu affectionnes spécifiquement pour le respect de l’accessibilité ?
Je vais donner des exemples généraux, probablement imparfaits mais qui, je trouve sont inspirants tout de même.
En termes de service public, je pense au gouvernement du Royaume-Uni. Le gouvernement français oeuvre aussi au sein de son équipe de design pour l’accessibilité.
En terme de marques ou d’entreprises plutôt dans la tech, les premiers exemples qui me viennent en tête sont Apple et Atlassian. Apple a déjà fait sa place dans le monde de l’accessibilité et ils continuent de mettre en place de nouvelles fonctionnalités dans leurs appareils. Il est possible de certains d’entre nous utilisent des fonctionnalités d’accessibilité sur nos Mac ou sur nos iPhones pour ceux qui en ont, par exemple : le fait de pouvoir changer la taille et l’épaisseur des polices, ajuster les couleurs de nos écrans, utiliser l’assistive Touch - qui est un menu disponible tout le temps sur l’écran - pour naviguer, ou encore régler les retours haptiques de l’écran pour avoir différents menus contextuels selon la pression qu’on exerce sur l’écran.
Je trouve qu’Atlassian est aussi un bon exemple, c’est une grosse boîte d’édition de logiciel qui détient notamment Jira, Confluence et Trello. Quand on va dans leur design system, la première page est complètement dédiée à l’accessibilité, et ils ont une équipe entière dédiée au sujet, c’est assez inspirant. A titre personnel, je ne m’attendais pas à ce que l’implication de cette entreprise soit aussi explicite et marqué.
Après, j’avoue que dès que je vais sur un site, je teste la navigation clavier. C’est un critère parmi beaucoup d’autres, mais je trouve cela super satisfaisant quand je vois que la navigation clavier est bien faite, et ça me donne de l’espoir. C’est ultra basique, ça prend 10 secondes et en 10 secondes on a déjà une première idée et on sait si l’entreprise prend en compte le sujet ou non. Vous pouvez faire le test chez vous, allez sur un site que vous aimez bien, et essayez de naviguer ne serait-ce qu’avec la touche tabulation de votre clavier et vérifiez si d’une part, vous avez une indicateur visuel, un encadré par exemple, qui vous permet d’identifier sur quel lien ou bouton vous êtes, et d’autre part, si cet indicateur visuel suit l’ordre des éléments que vous voyez sur votre page.
Pour conclure, aurais-tu un/ou des conseils principaux à donner pour se former ou commencer à changer leur pratique ?
- La première des choses c’est de bien comprendre que l’accessibilité, c’est quand même une question d’humains. On parle de personnes humaines quand même, qui font face à des problématiques tous les jours, auxquelles on ne pense même pas en tant que personnes non concernées. Ensuite, bien intégrer que l’accessibilité a une implication légale et que celle-ci va en s’intensifiant. Si on veut adopter un point de vue business, bien se rappeler que c’est aussi un manque à gagner pour les entreprises.
- Maintenant, en termes de ressources, si on est en France, on peut déjà regarder les règles du RGAA (d’ailleurs une nouvelle version du site est en cours d’élaboration). Si on officie à l’international, ce sont les WCAG qu’il conviendra de lire.
- Bon, je comprends qu’on ait pas envie de se farcir les référentiels d’accessibilités d’entrée de jeu. Une solution pour se sensibiliser au sujet ou commencer à agir :
- Lire les blogs d’Amy Carney (en anglais) et Loriane Buffet qui ont fait le challenge “100 jours d’accessibilité” et qui ont documenté leur apprentissage.
- Pour tous les designers, le site Design-accessible.fr dresse une checklist du designer pour faire du design accessible (en français)
- Pour les développeurs et développeuses, on pourra se renseigner sur les composants accessibles, coder son code HTML de façon plus précautionneuse en utilisant les bonnes balises, dans le bon ordre et éventuellement avec les bon attributs associés
- Pour toutes autres partie prenante qui voudrait porter le sujet en interne, il y a beaucoup d’articles en lignes sur le “business case for digital accessibility” pour comprendre les opportunités business liées à l’accessibilité.
- Et si on veut rencontrer des gens qui s’intéressent au même sujet, il y a une conférence en France dédiée, c’est A11Y Paris. Il y a eu 3 éditions depuis 2018 (modulo les années covid bien sûr) il y en aura sûrement d’autres donc c’est aussi l’occasion de s’informer et de rencontrer d’autres personnes du domaine.
Et surtout, parlez-en autour de vous, discutez-en avec vos collègues ou vos amis. Peut-être qu’il y a des personnes directement concernées par des besoins d’accessibilités, peut-être que votre entreprise propose des services d’accessibilité ou que certains de vos collègues aimeraient mettre des actions en place dans votre organisation.
Aurais-tu un mot pour la fin ?
"On peut prendre en compte l’accessibilité à notre niveau et participer à l’effort de sensibilisation, peu importe notre domaine."
Liens utiles
- Référentiel d’accessibilité Français, les règles RGAA
- Référentiel à l’étranger, les règles WCAG
- Blog de Loriane Buffet, 100 jours
- Checklist du design accessible
- Conférence A11Y Paris sur l'accessibilité
Liste non exhaustive de plugins : Color Blind, GetStark, Contrast Color Analyzer
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